Le proto-germanique ou germanique commun est la reconstruction de la langue parlée à l’origine par les peuples germaniques, alors qu'ils se trouvaient concentrés dans le nord de l'Europe entre 750 av. J.-C. et 300 apr. J.-C.[réf.nécessaire].
On postule normalement deux époques, l'une primitive jusqu'en l'an 1 apr. J.-C. et l'autre tardive entre 1 et 300 apr. J.-C. Cette dernière a donné naissance aux langues germaniques, réparties en trois sous-ensembles, en raison de la fragmentation qui s'est opérée par la suite: le germanique de l'Est, le germanique de l'Ouest et le germanique du Nord.
Le germanique commun n'est attesté par quasiment aucun texte, mise à part peut-être l'inscription «harikastiteiva \ \ \ ip» du casque de Negau, mais a été reconstruit selon la méthode comparatiste. Cependant, quelques inscriptions rédigées dans une écriture runique de Scandinavie, datant d'environ 200 de notre ère, représentent une étape du proto-norrois ou, selon Bernard Comrie, du germanique commun tardif, suivant immédiatement le stade du germanique commun primitif[1]. Le germanique commun descend lui-même de l'indo-européen commun.
Zone de peuplement proto-germanique
Après avoir étudié la toponymie et l'hydronymie du Nord de l'Europe, Jürgen Udolph, spécialiste en onomastique, conclut que l'ancienne zone de peuplement proto-germanique se situe approximativement entre les monts Métallifères, la forêt de Thuringe, l'Elbe, l'Aller et une frontière ouverte vers la Westphalie[2]. Selon lui, l'étude détaillée des noms géographiques ne permet plus d'assumer une patrie scandinave aux tribus germaniques, ni même pour le Schleswig-Holstein ou pour le Danemark, régions qui ne sont pas impliquées dans les formations de noms de lieux en vieux germanique. Selon lui, il est beaucoup plus probable de supposer une première migration vers le nord. L'inventaire de la toponymie indique clairement que l'ouest du Schleswig-Holstein et le Jutland occidental ne doivent pas être considérés comme des zones de peuplement germanique ancien. Le Jutland oriental et les îles danoises ont été atteints plus tôt par des tribus germaniques. Les tribus germaniques auraient également atteint relativement tôt la côte est suédoise[2].
Diachronie
Inventaire des changements phoniques
Époque pré-germanique
Dépalatalisation des palato-vélaires, désormais confondues avec les vélaires simples: le germanique se range ainsi dans les langues centum:
/ḱ/ → /k/: *ḱm̥tóm « cent » → *kumtóm
/ǵ/ → /g/: *u̯érǵom « travail » → *wérgom
/ǵʰ/ → /gʰ/: *ǵʰóstis « étranger » → *gʰóstis
Vocalisation en /u/ de l'élément vocalique indistinct contenu dans la réalisation de consonne syllabique:
/m̥/ → /um/: *ḱm̥tóm « cent » → *kumtóm
/n̥/ → /un/: *n̥tér « dedans » → *untér
/l̥/ → /ul/: *u̯ĺ̥kʷos « loup » → *wúlkʷos
/r̥/ → /ur/: *u̯ŕ̥mis « ver » → *wúrmis
Introduction /s/ intercalaire entre radical et suffixe à la rencontre de deux dorsales (résolution en -s- géminé):
/TˢT/ → /tˢ/ → /ss/: *wid-tós « connu » (tardivement *widˢtós) → *witˢtós → *wissós « certain »
Il n'existe qu'un exemple de la séquence /tt/ en position intérieure, auquel cas il subsiste (même après la loi de Grimm, voir plus loin):
*atta « papa » → attēn, avec réfection suffixale
Les consonnes géminées se simplifient après consonne ou voyelle longue: *kái̯d-tis « appel » (tardivement *kái̯dˢtis) → *kái̯ssis → *káisis « commandant »
La voyelle longue (bimorique) primaire[Note 1] en finale s'allonge en voyelle trimorique: *séh₁mō, collectif « semence » → *séh₁mō̃
Chute des laryngales et phonémisation des allophones de /e/:
Effacement à l'initiale devant consonne: *h₁dóntm̥ « dent » (acc.) → *dóntum
Effacement devant voyelle:
/h₁V/ → /V/: *h₁ésti « il est » → *ésti
/h₂e/ → /a/, autrement /h₂V/ → /V/: *h₂énti « en face de » → *antí, avec recul d'accent
s'opère tout au cours de l'époque proto-germanique.
Époque du germanique commun
Le germanique est désormais une langue indo-européenne centum qui a perdu ses laryngales et possède cinq voyelles longues et six brèves, ainsi qu'au moins deux voyelles trimoriques (ō̃, ē̃). À l'issue de l'époque pré-germanique, sans palato-vélaire ni laryngale ni sonante, le consonantisme du germanique ressemble à celui de ses prochains parents. Dès l'époque du germanique commun, au contraire, il subit des mutations consonantiques (lois de Grimm et de Verner) bien singulières et une accentuation de hauteur rejetée vers l'initiale du mot qui finissent par en faire une langue sensiblement différente. Cette étape marque la rupture définitive entre le germanique et ses congénères.
Germanique commun primitif
Chute des voyelles brèves /e/, /a/, /o/ en finale absolue: *u̯óide «il sait» → *wóide → *wait
Lorsque précédées d'une semi-voyelle (/j/, /w/), celle-ci s'efface aussi: *tósi̯o «cela» → *tósjo → *þas
Lorsqu'en monosyllabe, la voyelle se maintient, exception faite des clitiques: *-kʷe «et» → *-xw
Lorsque toniques, l'accent remonte à la syllabe d'avant: *n̥smé «nous» (complément d'objet) → *n̥swé → *unswé → *úns
Première mutation consonantique (loi de Grimm): changement en chaîne[Note 3] des trois séries d'occlusives. Fait exception l'occlusive sonore précédée de sourde en groupe consonantique. De même, les labio-vélaires sont déjà délabialisées devant /t/.
Déaspiration puis fricatisation des occlusives sonores aspirées en fricatives (en position intérieure ou finale) ou occlusives simples (après nasale, à l'initiale [b,d], après l et z [d seulement], voir plus bas):
Fricatisation des occlusives sourdes, sauf si précédées d'une autre constrictive. Dans une suite de deux constrictives sourdes, la seconde reste occlusive.
En groupe consonantique une occlusive sonore, appuyée par /s/ ou une sourde précédente, est interdite. La sonore s'assourdit par assimilation et échappe à la mutation. Conservées sont les suites /sp/, /st/, /sk/, /skʷ/ et /tt/.
Loi des spirantes germaniques: toute occlusive (sauf dentale) devant /t/ devient fricative sourde:
L'accent tonique lexical se fixe systématiquement sur l'initiale absolue. L'alternance accentuelle perdue, les fricatives sonores produites par l'action de la loi de Verner se phonémisent.
Passage de /ǥʷ/ initial absolu à /ƀ/ ~ /b/: *gʷʰédʰi̯eti «il prie, rend culte à» → *ǥʷédjedi → *bédjedi → *bidiþi (avec -þ- analogique)
Assimilation de sonantes en groupe diconsonantique:
Résolution de triphtongue en diphtongue: *-oi̯end, marque de P3 de l'optatif thématique → *-ojint → *-oint → *-ain; *ái̯eri «au matin» → *ajiri → *airi «tôt»; *tréi̯es «trois» → *þrejiz → *þreiz → *þrīz
Monophtongaison de la suite /iji/ en /i/ long (ī): *gʰóstei̯es «étrangers» → *gostijiz → *ǥostīz → *ǥastīz «invités»
Convergences vocaliques:
/o/, /a/ sont confondus en [ɑ] (a): *gʰóstis «étranger» → *ǥostiz → *ǥastiz «invité»; *kátus «lutte» → *xaþuz «bataille»
/ō/, /ā/ sont confondus en [oː] (ō): *dʰóh₁mos «mis, placé» → *dōmoz → *dōmaz «décision en justice»; *su̯éh₂dus «sucré» → *swā́dus → *swātuz → *swōtuz
/ō̃/, /ā̃/ sont confondus en [oːː] (ō̃): *séh₁mō «graines» → *sēmō̃; *-eh₂es, pluriel de thème en -eh₂- → *-ā̃z → *-ō̃z
Germanique commun tardif
Convergence des nasales (m, n, ŋ) finales en /n/: *tóm «cela», à l'accusatif masculin → *þam → *þan «donc, dans ce cas»; *-om, acc. sg. de thème en -a- → *-am → *-an
/m/ passe à /n/ devant dentale: *ḱm̥tóm «cent» → *kumtóm → *xúmtam → *xundan; *déḱm̥d «dix» → *dékumd → *téxumt → *texunt
Affaiblissement de /n/ final absolu en semi-voyelle nasale (noté ⁿ) puis amuïssement après syllabe atone; ainsi les finales désinentielles: *-om, devenu *-an → *-aⁿ; *-eh₂m → *-ām → *-ān → *-ōn → -ōⁿ
Postériorisation de /ēⁿ/ en /āⁿ/: *dʰédʰeh₁m «je mettais, plaçais» → *dedēn → *dedēⁿ → *dedāⁿ → *dedōⁿ «j'ai mis, placé»
Dans les autres cas, /ə/ → /a/: *ph₂tḗr «père» → *ɸəþḗr → *ɸáđēr; *takéh₁- «se taire» → *takəjéti «il se tait» → *þagəjiþi → *þagəiþi (ji → i bref, voir la rubrique précédente) → *þagaiþi
Effacement de /t/ final en syllabe atone: *téxunt «dix» → *texun; *bʰéroid «qu'il porte» (subj.) → *bérait → *berai
/ɣʷ/ → /w/ en position intérieure (parfois /ɣ/): *snóigʷʰos «neige» → *snáiǥʷaz → *snaiwaz; *kʷekʷléh₂ «roues», collectif → *xʷeǥʷlā́ → *xwewlō (→ *xweulō, avec vocalisation de w en position appuyante)
Métaphonie par i: fermeture de /e/ bref en /i/ bref lorsque suivi de /i/ bref ou jod /j/ dans la même syllabe ou celle d'après: *bʰéreti «il porte» → *béreþi → *beriđi (1re métaphonie) → *biriđi (2e métaphonie); *médʰi̯os «milieu» → *međjaz → *miđjaz; *néui̯os «nouveau» → *newjaz → *niwjaz
/ei/ se monophtongue en /i/ long (ī): *deiu̯ós «dieu» → *teiwaz → *Tīwaz «divinité, Týr»; *tréi̯es «trois» → *þreiz → *þrīz
Fermeture de /e/ en /i/ lorsque suivi de nasale en fin de syllabe: *en «dans» → *in; *séngʷʰeti «il chante» → *sengʷiđi → *singwiđi
Cette fermeture n'a pas agi avant les premiers contacts avec les peuples finniques puisque le finnique a conservé /e/ en quelques emprunts; cf. le finnoisrengas «anneau, cercle», du germ. comm. *xrengaz, tardivement *xringaz.
Chute de /j/ intervocalique sauf après /i/ et /w/ (au contraire de /u/ syllabique, après quoi il y a chute). Les deux voyelles désormais en hiatus se contractent en voyelle longue ou diphtongue: *-oih₁m̥, P1 singulier de l'optatif thématique → *-ojum → *-ajuⁿ → *-auⁿ; *ái̯eri «au matin» → *ajiri → *airi «tôt»
Ce processus génère une nouvelle /a/ long (ā) à partir de la séquence /ɑjɑ/: *steh₂- «être debout» → *sth₂jónti «ils sont debout» → *stajanþi → *stānþi
Chute de /n/ devant /x/ avec allongement compensatoire: *ḱónketi «il pend» → *xanxiđi → xāxiđi
Phonologie
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Transcription
Consonnes
Voyelles
Morphologie
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Simplification du système flexionnel
Caractéristiques morphologiques générales
Noms
Cas
Noms en -a-
Noms en -i-
Singulier
Pluriel
Singulier
Pluriel
Nominatif
*wulfaz
*wulfōz, -ōs
*gastiz
*gastīz
Vocatif
*wulf
*gasti
Accusatif
*wulfą
*wulfanz
*gastį
*gastinz
Génitif
*wulfas, -is
*wulfǫ̂
*gastīz
*gastijǫ̂
Datif
*wulfai
*wulfamaz
*gastī
*gastimaz
Instrumental
*wulfō
*wulfamiz
*gastimiz
Adjectifs
Cas
Déclinaison Forte
Déclinaison Faible
Singulier
Pluriel
Singulier
Pluriel
Masculin
Neutre
Féminin
Masculin
Neutre
Féminin
Masculin
Neutre
Féminin
Masculin
Neutre
Féminin
Nominatif
*blindaz
*blinda-tō
*blindō
*blindai
*blindō
*blindôz
*blindô
*blindô
*blindǭ
*blindaniz
*blindōnō
*blindōniz
Accusatif
*blindanǭ
*blindanz
*blindanų
*blindōnų
*blindanunz
*blindōnunz
Génitif
*blindas, -is
*blindaizōz
*blindaizǫ̂
*blindaizǫ̂
*blindiniz
*blindōniz
*blindanǫ̂
*blindōnǫ̂
Datif
*blindammai
*blindaizōi
*blindaimaz
*blindaimaz
*blindini
*blindōni
*blindammaz
*blindōmaz
Instrumental
*blindanō
*blindaizō
*blindaimiz
*blindaimiz
*blindinē
*blindōnē
*blindammiz
*blindōmiz
Déterminants
Cas
Singulier
Pluriel
Masculin
Neutre
Féminin
Masculin
Neutre
Féminin
Nominatif
*sa
*þat
*sō
*þai
*þō
*þōz
Accusatif
*þanǭ
*þǭ
*þanz
Genitif
*þas
*þaizōz
*þaizǫ̂
Datif
*þammai
*þaizōi
*þaimaz
Instrumental
*þanō
*þaizō
*þaimiz
Verbes
Pronoms
Cas
Singulier
Duel
Pluriel
Nominatif
*ek
*wet
*wīz
Accusatif
*mek
*unk
*uns
Génitif
*mīnaz
*unkeraz
*unseraz
Datif
*miz
*unkiz
*unsiz
Instrumental
*miz
*unkiz
*unsiz
Cas
Singulier
Duel
Pluriel
Nominatif
*þū
*jut
*jūz
Accusatif
*þek
*inkw
*izwiz
Génitif
*þīnaz
*inkweraz
*izweraz
Datif
*þiz
*inkwiz
*izwiz
Instrumental
*þiz
*inkwiz
*izwiz
Cas
Singulier
Pluriel
Nominatif
*iz (m) *sī (f) *it (n)
*īz (m) *ijōz (f) *ijō (n)
Accusatif
*inǭ (m) *ijǭ (f) *it (n)
*inz (m) *ijǭ (f) *ijō (n)
Génitif
*es (m) *ezōz (f) *es (n)
*ezǫ̂ (m) *ezǫ̂ (f) *ezǫ̂ (n)
Datif
*immai (m) *ezōi (f) *immai (n)
*imaz (m) *imaz (f) *imaz (n)
Instrumental
*inō (m) *ezō (f) *inō (n)
*imiz (m) *imiz (f) *imiz (n)
Fable de Schleicher en proto-germanique
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Notes et références
Notes
Considérées primaires sont celles qui sont héritées de l'indo-européen commun tardif, dont les deux cas: (a) le degré long et (b) la contraction de deux voyelles brèves en hiatus; voir J. Jasanoff, «Acute vs. circumflex: some notes on PIE and post-PIE prosodic phonology», dans Harvard Working Papers in Linguistics 8 (2003): .
Considérées secondaires sont celles qui résultent de la chute d'une laryngale, soit par allongement compensatoire, soit par contraction.
Il est plus précisément question d'une chaîne de propulsion amorcée par la désuétude de l'aspiration, ce qui provoque les aspirées à se rapprocher des occlusives sonores simples. À la différence de ses parents, en germanique le rapprochement n'a pas abouti à la convergence totale; au contraire, les deux séries se propulsent l'une de l'autre. Les aspirées passent à des fricatives, évolution très répandue, alors que les occlusives sonores simples se dévoisent, ce qui propulse à leur tour les occlusives sourdes à se fricatiser. À comparer du latin, voir J. Clackson, The Blackwell history of the latin language, Oxford, Blackwell, 2007, p. 9.
Références
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(en) Guus Kroonen, Etymological Dictionary of Proto-Germanic, Leyde, Brill, 2013.
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L. Musset, Les Invasions, t. I: Les vagues germaniques, Paris, PUF, 1969.
(en) Donald Ringe, From Proto-Indo-European to Proto-Germanic, Oxford, Oxford University Press, 2006.
André Rousseau, «Les langues germaniques anciennes», dans Dictionnaire des langues, Paris, PUF, 2011, p. 618–626.
(it) P. Scardigli, Manuale di filologia germanica, Florence, Sansoni, 1989.
(en) Joseph B. Voyles, Early Germanic Grammar, San Diego, Academic Press, 1992.
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