Le savoyard (savoyâ ou savoyârd [sa.vɔ.ˈjaː]) est le nom donné aux dialectes de la langue francoprovençale (ou arpitane) parlés en Savoie (Savouè). Il s'agissait de la variante francoprovençale la plus parlée en France, avec un nombre de locuteurs estimé à 35 000 personnes en 1988. Selon plusieurs sondages, la proportion de la population savoyarde parlant cette langue était en 2001 de 7 %[5], dont seulement 2 % des savoyards l'utilisaient quotidiennement, majoritairement dans les milieux ruraux[6].
Savoyard Savoyâ / Savoyârd | |
Pays | ![]() |
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Région | ![]() |
Nombre de locuteurs | ± 25 000 (2022)[1] |
Typologie | syllabique |
Classification par famille | |
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Statut officiel | |
Régi par | Institut de la langue savoyarde[2],[3] |
Codes de langue | |
IETF | frp[4]
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Type | vivante |
Linguasphere | 51-AAA-jd
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Échantillon | |
Article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme (voir le texte en français) Savoyard (dialecte du pays de l'Albanais), et dialectes (dialecte du Val d'Arly,beaufortin) : Artiklyo prômi
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Carte | |
![]() Répartition géographique du savoyard. | |
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Pour les articles homonymes, voir Savoyard.
Le savoyard est compris dans la Charte européenne des langues minoritaires en tant que dialecte du francoprovençal. Cependant, le savoyard est lui-même subdivisé en de nombreux sous-dialectes dans presque toutes les grandes vallées.
Ce dialecte du francoprovençal a vu son nombre de locuteurs fortement diminuer depuis l'Annexion de la Savoie à la France en 1860, notamment à cause de l'interdiction de le parler à l'école, le service militaire, ainsi que les deux conflits mondiaux[7]. Le XXe siècle a vu le nombre de locuteurs passer de la quasi-totalité de la population des campagnes savoyardes à quelques dizaines de milliers.
Cependant au cours des années 1980, un regain d’intérêt a existé avec l'organisation de nombreuses fêtes internationales du francoprovençal[8], la création de plusieurs associations ayant pour but de sauvegarder cette langue, notamment, le Groupe de Conflans, et l'Institut de la langue savoyarde, la publication de nombreux ouvrages (monographies, livres, romans), ainsi que l'enseignement — quoique difficile, du fait de l'absence de reconnaissance comme langue régionale — présent dans quelques écoles. De nombreux échanges entre élèves ayant pris cette option sont organisés chaque année, surtout lors du Concours Constantin-Désormeaux[9] visant à récompenser les meilleurs travaux des élèves dans cette langue. La signalisation bilingue commence elle aussi à être présente en Savoie à l'entrée des agglomérations.
La manière dont doit évoluer le savoyard, quant à une possible pseudo-uniformisation, une orthographe commune à l'ensemble de l'aire francoprovençale, est cependant sujette à de nombreuses controverses entre plusieurs courants. Ces courants sont le plus souvent divisés en deux groupes. Les patoisants, groupe majoritairement formé de retraités, qui, pour la plupart, sont des locuteurs natifs, ayant inconsciemment appris la langue dès leur plus jeune âge avec leurs parents, souvent en ce qui concerne la vie rurale, mais qui, pour une partie d'entre eux, ne se sont « réintéressés » au savoyard qu'à un âge assez tardif[10] : pour la majorité, ils sont pour une conservation de la langue telle qu'elle est, avec ses variantes, préférant utiliser la graphie de Conflans (ou de type semi-phonétique). L'autre groupe, informel, est composé des néo-locuteurs, dont le groupe le plus représenté est celui dit des arpitans. La plupart de ceux-ci exerce un métier intellectuel et n'a appris la langue que tardivement, de manière volontaire[11]. À la différence des patoisants, ils n'utilisent le terme patois qu'avec les locuteurs natifs, car ils estiment que pour le grand public, le terme patois a une connotation péjorative (ce serait une sous-langue), et n'utilisent que modérément le mot francoprovençal qui est de nature confuse. Ils préfèrent le néologisme arpitan et promeuvent la diffusion d'une orthographe normalisée supradialectale (ORB), sans rejeter les graphies phonétiques, qui « seront toujours utiles pour l’apprentissage de la langue orale, car elles remplissent le rôle de l’alphabet phonétique international habituellement utilisé dans l’apprentissage des langues »[12].
Le savoyard est un dialecte du francoprovençal, qui lui-même est une langue gallo-romane issue de différentes langues, dont les plus importantes sont le Latin et les dialectes gaulois, ainsi qu'un substrat burgonde — dont l'importance au sein de la langue est encore discutée. Né durant l'époque carolingienne[13] en même temps que le reste de l'aire linguistique francoprovençale, le savoyard va connaitre différentes évolutions et scissions qui forgeront la langue savoyarde actuelle et ses différentes variantes selon les vallées.
Les premières traces du savoyard remontent à l'époque carolingienne, lors de la division qu'il y eut entre l'aire linguistique d’oïl et l'aire linguistique francoprovençale. L’événement à l'origine de cette séparation est le changement de capitale qui s'opéra sous le règne de Clovis (règne: 481/482)[14]. La capitale du royaume passe alors de Lyon (Lugdunum) à Paris et c'est donc à la suite de cet événement, pouvant paraître insignifiant, que les deux aires linguistiques se séparèrent. Les évolutions de la langue en pays d'oïl ne sont donc plus forcément acceptées par l'aire francoprovençale. On peut noter trois refus majeurs datant de cette époque, qui accélèrent la naissance du francoprovençal. Le plus notable, et sans doute le plus marquant, fut le déni de l'aire francoprovençale d'accepter l'oxytonisme généralisé, présent en langue d'oïl[15]. La grande majorité des voyelles finales — principalement le a, marque du féminin — restèrent atones (exemple: le latin rosa donne rose en français, et reu/rouza en savoyard.).
Sur le principal substrat du savoyard qu'est le latin, des traces celtiques et gauloises d'une latinisation tardive restèrent présentes dans la langue savoyarde. En effet, la principale différence entre l'occitan et le francoprovençal est la date de latinisation qui, pour le deuxième, fut plus tardive que le premier. Découlant de cela, le substrat celtique est bien plus important dans le domaine francoprovençal que dans le domaine occitan, comme le montrent les nombreux mots issus de dialectes gaulois incorporés dans la langue. On peut citer comme exemple le mot BLIGITICARE, signifiant « traire » en gaulois, qui en savoyard a donné bloshyi / blotsyé / blostyé [bləθi] ou [bləstje], signifiant « finir de traire », ou « traire une seconde fois » — on peut constater, comme pour beaucoup d'autres formes gauloises restées en savoyard, l'évolution péjorative de ce mot, "barbare" au yeux du latin. Ce terme est, entre autres, à l'origine du nom reblochon, un fromage savoyard. Le mot savoyard nant (rivière), qui est aujourd'hui très présent dans la toponymie savoyarde, est lui aussi un bon exemple du substrat celtique, que l'on retrouve dans les langues brittoniques sous des formes équivoques, comme le breton nant (canal). Le haut Moyen Âge fut aussi le théâtre d'invasions barbares en Savoie, principalement burgondes, qui apportèrent un nombre plus ou moins important de mots au savoyard, comme tasson (blaireau), fata (poche)… Seulement, au vu des faibles connaissances que les linguistes ont de la langue burgonde, il est difficile de déterminer avec exactitude quelle est l'étendue du substrat Burgonde. Il est donc l'objet de vives controverses.
Il faut donc noter des emprunts aux langues celtiques (ex: nant ou nan = ruisseau, torrent) et burgondes mais aussi aux langues voisines comme l'occitan, et quelques-uns à la langue d'oil. Le principal substrat du savoyard, et des autres langues romanes, reste néanmoins le latin (voyelles finales latines inaccentuées, comme dans le nom de village Giettaz se dit [ðjɛta], le « a » final n'étant presque pas entendu).
L'entrée dans cette longue période historique se fait par une période d'évolution et d'éclatement linguistique forte (non endémique à l'aire francoprovençale) et floue dans le cas du savoyard[16]. En effet, les évolutions entre le domaine d'oïl et le domaine francoprovençal se font soit de manière plus ou moins similaire, soit totalement différente. Au XIIe siècle, une évolution notable est présente dans les deux domaines de manière similaire, il s'agit de amuïssement du s préconsonantique devant une consonne sourde (ex : tsasté > tsaté). D'autre part, la scission entamée entre les deux groupes linguistiques sous le règne de Clovis s'est en partie accentuée au XIIIe siècle, notamment par la réduction des consonnes affriquées en ancien français [d͡ʒ] en [ʒ] (issus du J,D + Y ; G +A latin) ; le [t͡s] en [s] ; et le [t͡š] en [š] (issus du C + I,E latin). Ainsi, les mots latin centus et vocem vont à partir du XIIIe siècle évoluer en français de la manière suivante : diŭrnus donne djorn > jorn > jour et centus donne > tsentus > cent ; alors qu'en francoprovençal, on observe un schéma différent, comme suit : cinque > tsin(q) > þẽ (θẽ)> thin, et djor > dzor > zor , certains dialectes ayant poursuivi en z, ð (son de the anglais), à l’exception de certains endroits de l'aire francoprovençale qui ont conservé plus ou moins longtemps les formes en dz et ts[17]. C'est en cela qu'un flou linguistique persiste, car les [dz] et [ts] n'ont pas subsisté sous cette forme identique dans toute la Savoie.
Effectivement, comme le montre la carte ci-contre, le C+A latin, qui dans sa forme originale [t͡s] a donné, selon les variantes savoyardes, [st], [θ], [h], [s], et plus récemment [f] à Lanslebourg (début 1900). Le [d͡z] a quant à lui donné [zh], [z], et [zd]. La majorité de ces évolutions restent incertaines, cependant, la période d'évolution du [t͡s] en [θ], ainsi que du [d͡z] en [zh] est sûrement celle évoquée plus haut — XIIIe siècle —, car c'est à la même époque que l'espagnol voit de même son [t͡s] évoluer en l'inter-dentale [θ] identique au savoyard sh[18]. Les métathèses [st] et [zd] faites dans le Val d'Arly, et le Beaufortain restent quant à elles mystérieuses, et peu d'explications ont été fournies. Une des rares études réalisées sur ce sujet est celle de Jules Cornu, qui en 1877, publiait son étude Métathèse de ts en st et de dz en zd dans Romania, tome 6 no 23 une explication selon laquelle les sons [zd] et [st] n'étant pas des sons simples, ils résultent d'une évolution linguistique. Il expose donc qu'un cheminement du type ts > sts > st et dz > zdz > zd est sûrement à l'origine de cette variation unique dans le domaine francoprovençal.
Outre les évolutions linguistiques, le Moyen Âge, ainsi que la Renaissance, sont aussi l'âge d'or de la littérature savoyarde. De nombreux écrits relatant les épisodes forts du Duché de Savoie fleurissent[19]. Comme les textes de Jean Menenc, qui en 1590 vantait les mérites de Charles-Emmanuel Ier de Savoie et dont voici un extrait :
David dè petit corsajut |
David de petite taille |
Textes qui ne furent pas toujours en faveur du Duché de Savoie, comme le montre Le plaisant discours d'un médecin savoyart emprisonné pour avoir donné advis au Duc de Savoye de ne croire son devin. (titre en ancien français) datant de l'été 1600, dont voici un extrait :
Creide me, ie vo en priou, Monsiou |
Croyez-moi, je vous en prie, monsieur, |
Le savoyard fut et reste un langage géographiquement variable car la formation d'une langue unitaire francoprovançale ne fut pas facilitée par les répartitions territoriales qu'a connues la Région Rhône-Alpes. Seuls la Savoie, le Val d’Aoste, le Vaud, le Genevois et le Valais connurent une indépendance linguistique plus grande (car n’étant pas rattachés à la France). Une autre cause à l'origine des variations du savoyard est la présence de montagnes. Effectivement, cet obstacle naturel ne facilite pas les déplacements (relief accidenté, enneigement important...) et est la cause de l'isolement de nombreux villages et hameaux. L’impact majeur de cette quasi-autarcie est que les variations se font sentir entre certaines vallées, parfois même entre certains villages[20]. Le francoprovençal a cependant continué à être utilisé dans la majeure partie des Alpes du Nord (Dauphiné, Lyonnais, Bresse inclus).
À partir du XIXe, de très nombreuses études portant sur la langue savoyarde apparaissent ; effectivement, ces recherches sur la langue savoyarde, portées par des linguistes comme Aimé Constantin, Jules Gilliéron, Joseph Desormaux, Jules Cornu, ou encore Graziadio Isaia Ascoli (pour l'ensemble du francoprovençal), débouchent sur la publication de nombreux dictionnaires, comme le Dictionnaire Savoyard d'Aimé Constantin et Joseph Desormaux. Cependant, il existait un certain nombre d'études, de recherches et de comptes-rendus linguistiques sur le savoyard avant cette période, comme le montre l'extrait suivant, tiré de La precellence du langage Françoys, datant de 1579 :
« En Savoy, un laboureur s'en allant labourer la terre dit qu'il s'en va arar, syncopant le latin arare... Or ce mesme pays a retenu plusieurs belles paroles de la langue latine, qui ne se trouvent point ès aultres dialectes »
— Henry Estienne, La precellence du langage Françoys, 1579
Cependant, ces études n'étaient guère nombreuses avant le XIXe siècle, et pour la plupart assez succinctes. Mais à partir de la ''prise de conscience linguistique'' réalisée en cette fin de XIXe siècle, des spécialistes se mirent à arpenter les montagnes savoyardes, en quête de témoignages, et d'informations concernant les différentes variantes de la langue. Toutes ces recherches menèrent à la publication de centaines[21] de comptes-rendus, de dictionnaires, d'articles dans des revues linguistiques, comme dans la Revue des patois Gallo-Romans. L’ensemble de ces études furent regroupées par M. Desormaux dans Bibliographie méthodique des parlers de Savoie: langue et littérature.
Malgré une reconnaissance grandissante de cette langue dans les milieux universitaires, grâce aux études susdites, l'apprentissage obligatoire du français, la Première Guerre mondiale et la modernisation n'ont fait qu’accélérer le mécanisme de déclin de la langue savoyarde déjà enclenché. Ainsi, dès la fin Seconde Guerre mondiale, et surtout au tournant des années 1960 avec l'exode des campagnes et l'évolution du monde rural[22], la langue savoyarde n'est guère plus usitée que par le milieu paysan (et les personnes âgées), pour décrire des outils ou travaux des champs. Cependant, depuis les années 1980, on voit un engouement de plus en plus présent pour le savoyard, cela étant principalement dû au tourisme et à la prise de conscience concernant la richesse patrimoniale que représente le savoyard, faite par la volonté de plusieurs groupes et notamment le Groupe de Conflans, dans sa volonté de mettre en place des concours, d'élaborer une graphie permettant l'écriture et la collecte de textes. De plus, comme toute langue, le savoyard possède la richesse inestimable d'un reflet la culture locale, savoyarde pour cette langue, les façons de faire, de vivre, d'habiter dans les montagnes alpines. Faisant écho à cette dynamique, le savoyard est depuis plusieurs décennies dispensé dans des écoles bilingues par l'association des enseignants de Savoyard (AES)[23], malgré des difficultés législatives restreignant cet enseignement, notamment au niveau de l'option savoyard au Bac, qui jusqu'à aujourd'hui n'est pas autorisée par le Ministère de l'éducation. L'apprentissage de cette langue ne s'arrête cependant pas là, de nombreux Groupes patoisants à travers tous les Pays de Savoie organisent des cours, ou veillées d'apprentissage du savoyard dans différentes communes.
Parmi les parlers de Savoie, il existe certaines spécificités, d'une part de traitement phonétique, d'autre part de corpus lexical.
Contrairement à l'idée répandue, selon laquelle le savoyard varie de manière archaïque, et non déterminée, on peut remarquer de nombreux isoglosses, qui délimitent des aires distinctes[25].
En savoyard, le dje (venant du latin ego), a évolué en de dans l'ouest, et le nord de la Savoie, mais en ze, zou ou dze, zde, dans les dialectes de l'est[26].
La forme ancienne de l'aire francoprovençale pour le C+A latin était ts. Comme dit précédemment, elle s'est conservée en moyenne Tarentaise, dans la vallée de Belleville, ainsi que sporadiquement dans différents endroits en Savoie, dont au Mont-Saxonnex, dans les Bauges... Dans la majeure partie des dialectes savoyards (de l'ouest, du nord, ainsi que ceux de Maurienne) cette précédente forme a laissé place à l’inter-dentale sh, θ. Cependant, trois autres aires ont suivi des évolutions différentes (Val d'Arly, Moyenne-Maurienne, Haute Tarentaise). La Haute Tarentaise a simplifié le ts en s[27], tandis qu'en moyenne Maurienne, cette forme a muté en h, Alors que le Val d'Arly, Beaufortain ont inversé le [t͡s] en [st], qui à la différence du premier n'est un son simple (pour le détail de cette évolution, voir la partie Du Moyen Âge au XIXe siècle).
La troisième personne du singulier, dans les cas où elle est neutre a évolué de deux manières différentes. Au nord de la Savoie, elle a donné i (Ex : i plyu, il pleut) ; tandis qu'au sud, c'est un é (Ex: é plyu, il pleut)[28].
On peut remarquer qu'en savoyard, il existe deux grandes zones d'évolution distinctes ; l'isoglosse entre les deux est relativement similaire à celle de la troisième personne (neutre) du singulier[29]. Au nord, le C + I,E latin a donné f, dont son foyer propagateur a sans doute été Genève[30]. Au sud, si on excepte les évolutions en hiatus de Maurienne, le C + I,E a donné s dans la quasi totalité du département, à l’exception d'une évolution éparse en sh, dans quelques endroits isolés.
Les verbes terminant en latin par la forme IARE, ont comme en ancien français donné IER (qui est aujourd'hui le premier groupe finissant en er). Puis, dans la majeure partie des dialectes savoyards cette terminaison a muté en I. Seuls deux exceptions majeures dérogent à la règle, ce sont l'Arly, et le Tarin. En effet, ces deux ensembles étant assez conservateurs[31], ils ont pour cette terminaison gardé la forme YÉ[32]. D'ailleurs, l'évolution du E bref latin est similaire et a donné i dans la majeure partie des variantes savoyardes, à l’exception toujours de l'Arly et du Tarin ou il est resté la forme é, yé[33] (exemple : Shi, donne tsé, ou styé.).
Le U bref latin, qui en français a donné OU, a évolué en a-ou en ancien francoprovençal ; s'ensuivent diverses évolutions selon les dialectes. Dans la majorité des dialectes du nord, à l’exception du Chablais, qui a conservé un a-o, la diphtongue s'est simplifiée en la monophtongue eu, peut-être sous l'influence française, car elle est identique à la forme présente en ancien français[34]. Au sud, cette évolution en eu n'est que très sporadique ; mais la diphtongue d'origine ne s'est pas pour autant conservée partout. Effectivement, le son a-ou ne s'est conservé tel quel uniquement dans le Beaufortin, et la Haute-Tarentaise (o-ou)[35], et s'est transformé en ô, â dans les zones limitrophes des endroits conservateurs. Ailleurs, le a-ou, a le plus souvent donné euy, à l’exception du Val d'Arly, ou, à l’exception de quelques mots, la diphtongue s'est inversée, donnant ou-eu.
Le group ST du latin s'est simplifié en t dans la plupart des parlers savoyards comme en français, par exemple FESTA > fêta. En revanche, en Tarentaise à partir de Moûtiers ainsi qu'en Moyenne et Haute Maurienne, le groupe ST aboutit à [θ] puis à [s], [h], [x] ou peut disparaître complètement. La répartition est asse compliquée ; on trouve parfois plusieurs formes au sein d'un parler, par exemple à Bonneval-sur-Arc ST devient [s] normalement, mais [x] devant /r/[36]. Cette évolution est commune à d'autres régions francoprovençales : le haute vallée d'Aoste, le canton de Fribourg, ainsi que certaines parties des cantons de Vaud et du Valais[37].
Le tableau suivant expose (pour le savoyard) à chaque fois la ou les principale(s) variante(s) de chaque mot. Ces variantes ne représentent aucunement l'intégralité des variations de la langue savoyarde.
Latin | Savoyard | Français | Piémontais | Valdôtain | Occitan (vivaro-alpin) | Italien |
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Clavis | Klyâ | Clef / clé | Ciav | Cllou | Clau, Passa | Chiave |
Cantare | Stantâ, Tsantâ, Shantâ | Chanter | Canté | Tsanté | Chantar, Cantar | Cantare |
Capra | Shèvra, Styévra, Tyèvra | Chèvre | Crava | Tchiévra | Chabra, Bica | Capra |
Llingua | Langa | Langue | Lenga | Lenva | Lenga | Lingua |
Nox, Noctis | Né, nuë | Nuit | Neuit | Nét | Nuech | Notte |
Sapo, Saponis | Savon | Savon | Savon | Savon | Sabon | Sapone |
Sudare | Chouâ | Suer | Sudé / strasué | Sué | Suar, Susar | Sudare |
Vitae | Vya | Vie | Vita | Via | Vita, Vida | Vita |
Pacare | Bankâ, Payé | Payer | Paghé | Payé | Paiar, Pagar | Pagare |
Platea | Pl(y)asse | Place | Piassa | Place | Plaça | Piazza |
Ecclesia | Églyéze | Église | Gesia / Cesa | Éllésé | Gleia | Chiesa |
Caseus (formaticus) | Fromaze, Tomâ | Fromage | Formagg / Formaj | Fromadzo | Fromatge, Fromatgi | Formaggio |
Français | Albanais | Thônes[38] | Lanslevilard | La Giettaz[39] | Chambéry | Saint-Jean-de-
Maurienne |
Moûtiers | Samoëns | Albertville[40] |
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Chou | Tyu | Chu | Tchu | Styeû | Shu | Sheû | Tsou | Shou | Styeû |
Ciel | Sé | Syé | Chyél | Cheû | Syèl | Chyé | Chîe | Syèlo | Chér |
Manger | Bdjî | Mzhî | Mi'ndjér | Mzyé | Medyé | Mzhé | M'djê | Mzhî | Mezyé |
Chèvre | Tyèvra | Shêvra | Tchévra | Styévra / Kàbra | Shèvra | Tyèvra | Tchévra | Shîvra | Styévra |
Fatigué | Fatiguâ | Fatiguâ | Kreupar | Mafyé(tâ) / Lànyà | Fateguâ | Lasso | Mafî | Maf'itâ | Mafyé |
Mettre | Mètre | M'tâ | Betâr | Betâ / Btâ | B'tâ | B'tâ | Betâ | Mètre | Betâ |
À travers ces exemples, une caractéristique déjà développée du savoyard — et du francoprovençal en général — ressort ; la variation et l'évolution des mots selon les différentes localités. Cette fluctuation de la langue, notamment dans les noms et adjectifs, comme dit précédemment, est principalement due à l'isolement des villages entre eux, causé la plupart du temps par le relief, l'environnement, (neige...). De ce fait, certaines variantes savoyardes sont plus conservatrices que d'autres ; se traduisant par la conservation de formes anciennes dans certains "patois", comme l'exemple du mot fil de fer, se traduisant fi d'arsho / arsto dans les variantes les plus conservatrices, en opposition avec variantes fi de fér / fi dè fér présentes dans les variantes s'étant laissées influencer par le français. Ces variations sont plus ou moins fortes entre les localités proches en fonction de leur région. La région la plus homogène linguistiquement étant la vallée de Thônes[41], car étant enfermée par de hautes montagnes, qui autrefois ne permettaient que des contacts restreints avec l’extérieur. Mais, même dans cette vallée assez homogène, des variations — quoique minimes — apparaissent.
Cependant, l'étude publiée sous l'Atlas linguistique et ethnographique du Jura et des Alpes du Nord, menée par Gaston Tuaillon et Jean-Batiste Martin montre que sur plus de 1500 mots courants, le savoyard, en dépit de cette tendance de forte variation linguistique, en possédait 600 communs à toutes les variantes du dialecte. À l'instar des mots r'nolye (grenouille), r'masse (balai), ou encore modâ (partir) ; qui le plus souvent ne varient que sur une syllabe, et/ou sur la prononciation. Mais, il n'empêche que certains de ces mots considérés comme communs à l'ensemble des variantes du savoyard varient dans certaines localités isolées, ou dans certaines régions (l'exemple précédemment utilisé r'nolye fait partie de ces mots-ci, car présent sous des formes équivoques à celle donnée dans l'ensemble des variantes savoyardes, à l'exception de la Maurienne, où il mute en ran-na)[42].
La précédente description des isoglosses et variations permet de distinguer plusieurs grands ensembles dialectaux savoyard.
Le dialecte tarin se caractérise, comme dit précédemment, par son caractère assez conservateur[43], de par le maintien de plusieurs traits fondamentaux du francoprovençal comme le ts et le dz. Le tarin, contrairement à la majeure partie des dialectes savoyards conjugue le verbe être selon la forme latin eram, eras, erat, donnant dz'érou, t'érâ..., comme les dialectes valdotains et valaisans. Autre grande caractéristique du tarin, qui comme le mauriennais a conservé les consonnes finales (comme dans tsatèl, château), qui s'articulent assez souvent selon les déclinaisons (le cas sujet donne tsatè, tandis que les cas régimes et sujets donnent tsatèl.).
Au sein du dialecte tarin, on peut distinguer deux principaux cas à part, que sont la Haute-Tarentaise (Tignes), et le village d'Esserts-Blay. Le premier diffère du tarin en plusieurs points[50] ; tout d'abord, en Haute-Tarentaise, le C+A latin s'est simplifié en s (ex: al a oün sapèl tirolyin, il a un chapeau tyrolien), on peut aussi remarquer que la diphtongue a-ou n'a que peu évolué avec la forme o-ou. Ces différences restant néanmoins minimes quant à la totalité de la langue. Le blaycherain quant à lui déroge surtout au niveau des verbes, comme être qui le plus souvent se dit étre en savoyard, mais étökh à Esserts-Blay[51].
Le Mauriennais se définit principalement par sa prononciation, ainsi que certaines particularités de vocabulaire. Effectivement, certaines prononciations sont endémiques à la Maurienne, et parmi ces dernières, trois sont particulièrement marquantes. La première est la prononciation des on latin, qui dans la plupart des dialectes savoyards se prononcent [ɔ̃] ou [ɔɳ], sauf en Mauriennais, ou l'on prononce [ũ] (oün). Le deuxième son typique en Mauriennais est le [ỹ] (ex: pün, poing). Le troisième est le [ĩ] (ex: pïn, pin), inconnu en français et en savoyard, comme les autres sons. La deuxième particularité, moins visible au premier abord, est la différence de vocabulaire présente avec certains mots ; l'exemple précédent de r'nolye, qui donne ran-na en Maurienne est un des plus parlants. Dernière caractéristique marquante partagée dans toute la Maurienne, et différente de la simple prononciation ; l'évolution du C + I,E latin en hh, (ex: oüna heumna, une cheminée.).
Cependant, à l’intérieur du Mauriennais, deux zones sont à mettre à part dans le jugement du Mauriennais. En effet, la Moyenne-Maurienne (Valloire) et le village de Lanslebourg possèdent quelques caractéristiques propres, et non universelles à l’échelle mauriennaise. La région de Valloire est la seule à avoir fait évoluer le C+A latin en h (ex : oün ha, un chat). La région de Lanslebourg, quant à elle ne connait cette différence que depuis environ un siècle, celle de l'évolution du sh en f (ex: oüna fin-na, une chaine). Le patois de la région Languérine possède aussi une particularité notable au niveau de la terminaison de ses verbes, qui, à la différence des autres variantes du savoyard a gardé le r latin à la fin de l'infinitif (ex: portâr [porter], meûrir [mourir]...).
Ce dialecte du savoyard, suivant le cours de l'Arly[49], peut tout d'abord être vu comme une variante savoyarde relativement homogène[52]. Cet ensemble se différencie des autres en plusieurs points majeurs, dont la métathèse (déjà évoquée) des ts en st dans l'ensemble de l'Arly, et dans une moindre mesure des dz en zd. Outre cette caractéristique principale, plusieurs autres sont endémiques à ce dialecte. Tout d'abord, l'évolution des O brefs toniques en ou-eu (porta → poueurta) (ex: le boueu, l'étable). On peut aussi noter que l'évolution du C+A latin en st, s'est parfois accompagnée de l'ajout d'un y après le st (ex: styé, chez). Le y s'est aussi maintenu tel quel (cf Évolution des verbes en IARE latin, et du E bref) dans de nombreux cas, comme avec les verbes en yé descendant des verbes latins finissant en IARE ; ainsi qu'avec de nombreux mots ayant évolué en i dans le reste des dialectes savoyards.
Le Chambérien peut être vu comme le dialecte de la Savoie propre (sans l'Arly), se caractérisant, principalement, par des variantes au niveau du vocabulaire qui lui sont propres. Le cas le plus marquant est l'évolution du pronom démonstratif celui dans cette région. Effectivement, dans la plupart des autres dialectes, il donne s'li, s'lé, (voire sétye, Arly), cependant, dans le dialecte Chambérien, il donne, sans exceptions[53], chô (ex: y'è chô ki fô sin, c'est celui qui fait ça.). Autre évolution similaire, qu'est celle de la préposition voilà, qui a évolué sous des formes comme vétyà, vatchà (tlé en Faucignerand), mais qui est présent dans le dialecte Chambérien sous la forme vékà (présent sporadiquement dans quelques autres endroits.).
Le dialecte Chamberien, comme le Faucignerand, se caractérisent aussi par l'influence du français, notamment dans une partie de leur vocabulaire. Ce faisant, plusieurs prépositions comme tanke, tinke ou 'four, d'feur (dehors) ont laissé place (sauf quelques exceptions) à jusk', jeusk' et d'yôr, d'jôr[54] formes influencées par la langue française. Cette influence est aussi présente au niveau du vocabulaire, comme avec le mots shalande, sont présents (surtout la partie ouest du dialecte chamberien) sous les formes noyé (féminin), no-é[55]. La conjugaison est elle aussi, dans une moindre mesure, influencée par le français ; principalement avec le pronom elle ainsi que le participe passé du verbe avoir. De fait, le pronom elle qui, la plupart du temps est présent avec lé, yé en savoyard, donne èl dans la majeure partie du l'aire Chambérienne. Pour le participe passé du verbe avoir, on trouve en effet une forme plus proche du français que avu, awu, avec zu, yeû (ex: No on-n-a yeû, Petit Bugey, No on-n-a zu, Arvillard).
La graphie de Conflans est une convention d'écriture du francoprovençal (savoyard en particulier) réalisée à partir de 1981 au Centre de la Culture Savoyarde de Conflans, à l’instigation de l'abbé Marius Hudry (historien de renom), et de Gaston Tuaillon, linguiste au Centre de dialectologie de l'Université de Grenoble[56], ainsi qu'un grand nombre de "patoisants" venus des quatre coins des pays de Savoie. Ce groupe, appelé "Groupe de Conflans"[57] avait comme but principal de mettre au point une graphie pour écrire le savoyard permettant sa sauvegarde, car, de plus en plus délaissé. Cette graphie semi-phonétique se base sur les conventions phonétiques de la langue française pour exprimer les variantes dialectales savoyardes locales.
A.P.I |
Graphie de Conflans |
Exemples français |
Exemples savoyards |
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Voyelles non nasalisées (différemment orthographiées) | |||
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Semi-voyelles (différemment orthographiées) | |||
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Voyelles nasalisées (différemment orthographiées) | |||
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Consonnes (différemment orthographiées) | |||
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Quelques explications :
Cette graphie permit aussi la publication d'un grand nombre de livres traitant du savoyard comme: découvrir l’Histoire de Savoie, 1989; Découvrir les Parlers de Savoie, 1994, financé en partie par le ministère de la culture, et la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Rhône-Alpes, DRAC.
Le système graphique d'Aimé Constantin est l'un des premiers systèmes graphique adaptables à l'ensemble des variations de la langue savoyarde. Il fut créé en 1902 par cet auteur dans le but de permettre à chaque locuteur d'écrire sa langue, en reproduisant le plus fidèlement la prononciation de la variante de ce dernier[59]. Ce système est très complet, sans être étymologique et sans se baser totalement sur les systèmes des autres langues romanes.
L'orthographe de référence B (ORB), est un système graphique se voulant supra-dialectal — englobant de ce fait l'ensemble du francoprovençal — mis au point par le linguiste Dominique Stich en 2003. Cette graphie, est elle-même l'évolution d'un premier système orthographique (ORA)[60], qui sont tous deux pseudo-étymologiques, se basent sur les modèles orthographique du Français et de l'Italien (principalement). Donnant, par exemple, pour le mot avoé, (/awe/, avec) en Graphie de Conflans, avouèc en graphie ORB ; se rapprochant de l'étymologie française avec le ouè ainsi que l'ajout du c final, qui peut ou non être prononcé (selon la variante francoprovençale.)[61]. Ce qui donne des formes s'approchant du cheminement étymologique que leurs équivalents français, italiens ou occitans ont connu. De ce fait, Dominique Stich explique pouvoir exprimer les homonymes, chose parfois difficile en Graphie de Conflans.
Ce système assez complexe, l'est d'autant plus qu'il fonctionne avec comme base deux types d'ORB que Dominique Stich définit comme suivant :
« La forme d'ORB dite large [...], c'est-à-dire celle qui ne tient compte pratiquement d'aucune particularité phonétique locale. [...] L'ORB dite serrée qui, sans défigurer le mot en ORB large, donne quelques précisions supplémentaires »
— Dominique Stiche dans : Mini Dico Français / Savoyard.
Le mot ORB ''large'', mas (prononcé /me/ dans toutes les variantes savoyardes.), s'écrira màs en ORB ''serrée'', et c'est en cette complexité et ce flou que les critiques se dirigent[62]. Ainsi, certains critiques, comme le rédacteur du Glossaire du patois de suisse romande Eric Fluckiger, qualifient la méthode employée par Stich comme « Une formule micro-structurelle atypique et peu conforme aux règles de la lexicographie moderne.»[63]. Les critiques portent aussi atteinte à la méthode pseudo-étymologique employée par Stich, au niveau de l'identification des morphèmes par Dominique Stich, qui selon Eric Fluckiger « faute d'avoir justement identifié certains morphémes, l'auteur envient à créer la confusion ». Cependant, l'ORB, est reconnue dans la facilitation de la différenciation des homonymes, principale critique faite à la Graphie de Conflans.
Le savoyard, comme la majorité des dialectes francoprovençaux, se caractérise par la présence de deux articles différents pour le masculins (le ou lò suivant les endroits.) et le féminin (la partout), qui à la différence du français donne une forme pour chaque genre au pluriel (masculin lou ou lô, féminin lé) . Au-delà de cette similarité avec l'italien, la déclinaison est aussi très similaire entre ces deux langues[64].
Singulier | Pluriel | |||||||
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Masculin | Féminin | Masculin | Féminin | |||||
Nominatif | lô ou le | l' | la | l' | lô ou lou | lô-z ou lou-z | lé | lé-z |
Génitif | de lô / le ou du | de l' | de la | de l' | de lou / de lô ou dé | de lou-z / de lô-z ou dé-z | de lé | de lé-z |
Datif | a lô / le ou u | a l' | a la | a l' | a lou / a lô ou é | a lou-z / a lô-z ou é-z | a lé | a lé-z ou é-z |
Accusatif | lô ou le | l' | la | l' | lô ou lou | lou-z ou lô-z | lé | lé-z |
On peut remarquer sur le tableau ci-dessus que le génitif et le datif peuvent s'exprimer sous deux formes, de lou ou du pour le premier ; a lou ou u pour le deuxième. La première forme de chaque était originellement présente dans l'ensemble des dialectes francoprovençaux, mais elle fut délaissée – sous influence du français – dans des parties importantes de l'aire francoprovençale, notamment à l'ouest, au profit de la seconde forme[65].
Masculin | Féminin | |
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Nominatif | on (eùn)¹ | nà |
Génitif | d'on | d'nà |
Datif | a (r)'on² | a nà |
Accusatif | on | nà |
1 : La forme eùn est présente dans quelques endroits en Maurienne[66].
2 : Le r' est très souvent présent pour éviter le hiatus a-on, difficile à prononcer. On retrouve aussi très fréquemment ce r euphonique dans pè'r'on (pour un) pour pè on.
Articles féminins | articles masculins |
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la, la route = la ròta
une, une route = na ròta des, des routes = de ròte les, les routes = lé ròte |
le, le banc = le ban
un, un banc = on ban des, bancs = de ban les, les bancs = lou ban |
Le tableau précédent montre une caractéristique que le savoyard partage avec le reste des dialectes arpitans, la formation du pluriel féminin. les a sourds (presque toujours marques de féminin pour les noms communs) à la fin des mots se transforment en e semi-muet au pluriel. On retrouve cette variation avec quelques mots masculins, comme dans le mot bouébo (gamin), donnant lou bouébe au pluriel.
Exemples:
La vielye guimbârda a Dôde étâ dû a émoutyé. = La vieille voiture de Claude était dure à démarrer.
Lé vielye guimbârde a Dôde étyan dû a émoustyé. = Les vieilles voitures de Claude étaient dures à démarrer.
La conjugaison des verbes savoyards est très proche de la conjugaison espagnole, notamment pour le groupe finissant en â (ex amâ = aimer). La totalité des variantes du savoyard possèdent trois groupes verbaux[67], à savoir : les verbes terminant en â et yi / yé (amâ, starmèyé) — les deux formes n'ayant pas la même conjugaison — ; ceux terminant en ì (krapì) ; et ceux terminant en re (krètre). Le savoyard possède un nombre assez important de temps, comme l'équivalent français du plus que parfait.
Le savoyard, comme l'intégralité des langues romanes recourt à deux auxiliaires, avè et ètre, issus du latin habeo et sum pour articuler ses phrases à la voix passive, et former des temps composés.
1 : La deuxième forme est présente dans certaines régions en Savoie, mais reste moins fréquente.
2 : Les deux formes de l'imparfait sont équivalentes (et présentes partout), cependant, la seconde est plus familière.
1 et 2 : La première forme est plus récente que la deuxième, qui ne se trouve plus dans toutes les variantes de la langue savoyarde.
3 : La différenciation entre masculin et féminin au passé est devenue très rare.
La conjugaison dans les différentes variantes savoyardes du francoprovençal, est très proche de la conjugaison occitane, faite elle de 4 groupes distincts[69]. Le premier groupe regroupe les verbes finissants en â, venant du groupe latin se terminant en are, qui a donné en français le premier groupe en er. Le second groupe se termine en yî, yé, et chî, ché il correspond au second groupe en français (finissant en iller, cer). Le troisième groupe, quant à lui, voit ses verbes se terminer en î , équivalent du deuxième groupe français. Le quatrième groupe, est l'équivalent du 3e groupe français, et les terminaisons sont multiples : ire, è, ère, ètre, dre, tre, re, vre. Ce groupe, comme en français, comporte plusieurs sous groupes de conjugaisons.
Les temps sont relativement similaires aux autres langues romanes, si on excepte l'absence d'un équivalent du passé simple dans la quasi totalité des variantes savoyardes[70]. Voici une série de tableaux exposant la conjugaison savoyarde, et ses principales variantes.
Indicatif | Subjonctif | Conditionnel | ||||
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Pronoms personnels | Présent | Imparfait | Futur | Présent | Imparfait | Conditionnel |
D' / Zh' | âmo ou âme | âmave ou âmavo | âmerè | Ke d' / zh'âmèsso | Ke d' / zh'âmissou | âmeryou |
T' | âma ou âme | âmavâ | âmeré | Ke t'âmissa | Ke t'âmissa | âmeryâ |
Âl, L(y) | âme | âmave | K'âl, K'l'âme | K'âl, K'l'âmèsse | K'âl, K'l'âmisse | âmerè |
On / No | On âme / No z'amàn | âmave / z'âmavàn | âmerà / z'âmeràn | K'on âmèsse / K'no z'amissàn | K'on âmisse / K'no z'amissyon | âmerè / z'âmeryàn |
Vô | z'âmâ | z'âmavâ | z'âmeré / z'âmaré | K'vô z'amèssa | K'vô z'amissâ | z'âmeryâ |
Y' | y'amàn | amavàn | âmeryan | K'y'amissàn | K'y'amissàn | âmeryàn |
1 : La deuxième forme est plus rare.
Indicatif | Subjonctif | Conditionnel | ||||
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Pronoms personnels | Présent | Imparfait | Futur | Présent | Imparfait | Conditionnel |
D' / Zh' | vânyo ou vânye | vânyévo ou vânyéve | vânyerè | Ke d' / zh'vânyèsso | Ke d' / zh'vânyèsso | |
T' | vânye | vânyévà | vânyeré | Ke tè vânyèssà | Ke tè vânyèssà | |
Âl, L(y)é | vânye | vânyéve | vânyera | K'âl, K'l'vânyèsse | K'âl, K'l'vânyèsse | |
On / No | On vânye / No vânyàn | vanyéve / vanyévàn | vânyera / vânyeràn | K'on vânyèsse' / K'no vânyèssàn | K'on vânyèsse' / K'no vânyèssàn | |
Vô | vânyé | vanyévâ | vânyeré | K'vô vânyèssà | K'vô vânyèssà | |
Y' | vânyàn | vanyévàn | vânyeràn | K'y vânyèssàn' | K'y vânyèssàn' |
Indicatif | Subjonctif | Conditionnel | ||||
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Pronoms personnels | Présent | Imparfait | Futur | Présent | Imparfait | Conditionnel |
D' / Zh' | fournèsso ou fournèsse | fournechou | fournerè | Ke d' / zh'fourèchou | Ke d' / zh'fournechisse/ou | fourneryou |
T' | fournè (originellement fournessa) | fournèchâ | fourneré | Ke t'fournechâ | Ke tè fournechissâ' | fourneryâ |
Âl, L(y) | fournè | fournessè/chè | K'âl, K'lé fournerà | K'âl, K'lé fournessè/chè | K'âl, K'lé fournèchisse' | fournerè |
On / No | On fournè / No fournessàn | fournessè / fournessàn/chàn | fournerà / z'fourneràn | K'on fournessè / K'no fournessàn/chàn | K'on fournèchisse / K'no fournèchissàn | fournerè / fourneryàn |
Vô | fourni | fournechâ ou fournessâ | fourneré | K'vô fournechâ ou fournessâ | K'vô fournèchissâ | fourneryâ |
Y' | fournèssàn | fournechàn | fourneran | K'fournechàn | K'y fournèchissàn | fourneryàn |
Indicatif | Subjonctif | Conditionnel | ||||
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Pronoms personnels | Présent | Imparfait | Futur | Présent | Imparfait | Conditionnel |
De / Zhe | dèvo ou dève | dèvyou | devrè | devrè | ||
Tè | dè | devyâ | devré | devryâ | ||
Âl, L(y) | dè | devè | K'âl, K'lé devrà | devrè | ||
On / No | dè / No dèvàn | devè / devyàn ou dèvô | devrà / z'devràn | dvrerè / devràn | ||
Vô | dède ou dèvi (Albanais) | devyâ | devré | devryâ | ||
Y | dèvàn | devyàn | devran | devràn |
Le savoyard est encore utilisé dans certains milieux ruraux et parfois à usage touristique par le biais du parler savoyard, usage de certaines expressions[71]. Dans les années 1990, il y eut un engouement pour la traduction d’expression en savoyard dans le milieu des sports d'hiver, comme Tot drêt darré lo bochon signifiant « Seulement derrière les arbustes », ou encore les expressions techniques comme le "Ouedzet" qui signifie "Grabe" en snowboard, ou peuf (« neige poudreuse ») venant du savoyard puça qui signifie « poussière ».[réf. nécessaire].
Certaines communes installent des panneaux bilingues Français/Savoyard, et mettent parfois en place des cours de savoyard dispensés par des bénévoles, comme la commune d'Arvillard (Arvelâ), dans le département de la Savoie[72] ou les villages de la Communauté de communes Arve et Salève.
Néanmoins, une étude conduite en 2009 avec l’Institut Pierre Gardette (université catholique de Lyon)[73] montre que le nombre de locuteurs est faible et que la transmission familiale de la langue a cessé depuis plusieurs décennies.
Le savoyard est présent à la radio, notamment avec l'émission Et si l'on parlait patois présentée tous les dimanches à 12h45 par la bèda a renée sur la radio chrétienne d'Annecy RCF. On peut l'entendre également, aux côtés d'autres dialectes arpitans, sur Radiô Arpitania[75].
Le savoyard est présent occasionnellement dans des rubriques patois de certains journaux et bulletins, comme la rubrique kâke fanfiourne (quelques histoires) dans chaque édition du bulletin du Val d'arly. Le journal patoisant Dàva-rossan-na était un quotidien publié dans les années 1990 entièrement en savoyard, rédigé par divers patoisants de Savoie. La Voix des Allobroges, journal savoyard, tient aussi une rubrique savoyard intitulée La Voué[76], avec des articles sur ou en arpitan savoyard. Ce journal a lancé un site spécialement consacré à une série de reportages nommée A l'espéraz[77] sur la langue savoyarde, et ce dans toute la Savoie. Six vidéos furent réalisées en 2014 et 2015.
Sur internet, le savoyard est présent sur nombre de sites consacrés à cette langue, ainsi que sur des blogues, et pages facebook. De plus, il y a possibilité d'écrire en savoyard dans le wikipédia en arpitan, Vouiquipèdia.
Le savoyard est enseigné dans certaines écoles savoyarde par l'Association des Enseignants de savoyard (AES). Cette association fut créée à la fin des années 1990 par Marc Bron, actuel président de l'association, en ayant pour but de conserver et surtout de transmettre cette langue aux générations futures.
Mais aussi d'autres objectifs sont présents, comme la reconnaissance de cette dialecte ou encore la possibilité pour les élèves bilingues qui le souhaitent de pouvoir passer le baccalauréat en arpitan savoyard. En tout plusieurs centaines d’élèves étudient cette langue. Pour pouvoir échanger entre écoles, divers concours de théâtre en savoyard et autres sont organisés[78]
Selon une enquête qui avait été réalisé pour le compte d'un journal régionaliste en février 2001[79] par les étudiants de l'IUT d'Annecy-le-Vieux sous la direction de Marc Bron, président de l'Association des Enseignants de savoyard et :
Ces dernières années, des bandes dessinées ont été traduites dans la variété savoyarde de l'arpitan[80]. C'est le cas, notamment, avec Fanfoué des Pnottas, une production chablaisienne, traduite par Marc Bron, président de l'Association des Enseignants de savoyard (AES). Ce dernier a également adapté un album de Gaston Lagaffe, devenu Gust Leniolu[81].
On peut aussi noter la publication de plusieurs ouvrages de M. Viret, et notamment la traduction du Petit Prince, Lè ptyou prince, d'Antoine de Saint Exupéry en langue savoyarde.
En 2007, l'Aliance Culturèla Arpitana a lancé à Cervens (Chablais) l'album L'afére Pecârd, traduction de L'affaire Tournesol en francoprovençal. Dans cette aventure de Tintin, le héros parle la variété savoyarde de l'arpitan, avec des tournures empruntés en particulier à la région de Thônes. L'album utilise l'orthographe de référence B, écriture unifiée pour le francoprovençal.
Il existe de nombreux dictionnaire dont plusieurs relativement complets comme : La Giettaz: le patois du haut Val d'Arly, fait par les derniers patoisants de La Giettaz ainsi que Gaston Tuaillon pour la préface, ou encore Le patois de Tignes, Savoie, publié en 1998.
Afin de coordonner les travaux et initiatives concernant le savoyard, un certain nombre d'associations de référence existent :
Ces proverbes et expressions sont écrits dans les deux orthographes officielles. (Graphie de Conflans / Graphie ORB.)
On considère souvent le Savoyard comme dépourvu de littérature, alors qu'il possède nombre d'écrits et de poèmes[90]. en voici quelques-uns.
Per le kobri! Le chesi ba
Par le corbeau! Elletomba Le ne fou pa a mi tonba Sa roba etya ja ronpua Que sa robe était déjà déchirée Et le se trovi touta nua Et elle se trouva toute nue Un chakon vi adon ke ly ere Chacun vit alors sequ'elle était Petit ê gran l'alave veire Petits et grands allaient la voir En tonban se fôr le kieri En tombant, elle cria si fort Ke vouz y oussia vu couri Que vous aurez vu accourir touta le bety' a l'environ Toutes les bêtes autour d'elle Me dessu touta, lo lion Mais les dépassant toutes, le lion (Prologue faict par un messager savoyard, 1596, v. 60-69) |
Chéra Monchu, n'ên vô la pêina Sûrement Monsieur, il en vaut la peine De konserva noutron patoué. De conserver notre patois. Pêndên k'on sêntra diên sa veîna Pendant qu’on sentira dans sa veine, Le san de la vilye Savoué... Le sang de la vieille Savoie… Pêdên ke, yeu k'on save ên France Pendant que, où qu’on soit en France Diên noutro koueur on gârdera Dans nos cœurs on gardera La ple petiouta sovenance Le plus petit souvenir De le bognète et du tara, Des bougnettes et du pichet Monchu, mâgré voutron mémouére, Monsieur, malgré votre mémoire Lo savoyâr se faron gloere Les savoyards se feront gloire De parlâ man du devan De parler comme ci-devant. Texte adressé à Mr Dumaz, Maire de Chambéry, pour protester contre ses positions sur le savoyard, Amelie Gex, 1878. |
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