Le vieil irlandais (en vieil irlandais : goídelc ; en irlandais moderne : sean-ghaeilge) est la forme la plus ancienne de la langue irlandaise que l'on peut aujourd'hui reconstituer plus ou moins fidèlement à partir des sources disponibles. Elle remonte à la période comprise entre le VIe siècle et le Xe siècle et est l'ancêtre du moyen irlandais (ou irlandais médiéval).
Vieil irlandais Goídelc | |
Période | VIe siècle au Xe siècle |
---|---|
Langues filles | moyen irlandais |
Région | Irlande |
Typologie | VSO, flexionnelle, accusative, accentuelle, à accent d'intensité |
Classification par famille | |
|
|
Codes de langue | |
IETF | sga
|
ISO 639-2 | sga
|
ISO 639-3 | sga
|
Étendue | individuelle |
Type | historique |
Linguasphere | 50-AAA-ad
|
Glottolog | oldi1246
|
modifier |
Le vieil irlandais apparaît d'abord dans les marges de manuscrits religieux latins du VIe siècle. Un grand nombre de texte rédigés dans la forme primitive de la langue, bien que classés comme manuscrits de la période du moyen irlandais (comme le Lebor na hUidre et le Livre de Leinster), sont essentiellement rédigés en caractères de vieil irlandais.
Si le vieil irlandais est l'ancêtre des langues modernes que sont l'irlandais, le gaélique écossais et le mannois, il en diffère pourtant. Ces langues modernes sont généralement moins complexes que le vieil irlandais sur les plans morphologique et phonologique.
Les recherches actuelles en vieil irlandais sont toujours influencées par les travaux de quelques chercheurs peu nombreux, au nombre desquels on citera Rudolf Thurneysen (1857-1940) et Osborn Bergin (1873-1950). Aujourd'hui encore, leurs ouvrages sont considérés comme des œuvres de référence pour qui s'intéresse au vieil irlandais.
On a retrouvé quelques traces, surtout des noms de personnes, écrites dans la forme primitive de cette langue (dénommé irlandais primitif). Ces inscriptions sont en écriture oghamique, au moyen de l'alphabet gaélique qui était utilisé en Irlande et dans l'ouest de la Grande-Bretagne dès le IVe siècle.
En dehors de l'origine celtique évidente de la langue, le vieil irlandais a emprunté au fil des siècles une partie de son vocabulaire au brittonique, mais surtout au latin, dans la mesure où la vie intellectuelle irlandaise était empreinte de culture latine. À la suite des invasions germaniques du VIIe siècle, des racines scandinaves ont fait leur apparition dans le corpus irlandais. Enfin, un certain nombre de mots de l'anglo-saxon, eux-mêmes empruntés au français via l'anglo-normand, ont pris place dans la langue irlandaise ancienne[1].
La liste des consonnes du vieil irlandais est exposée dans le tableau ci-dessous. /N/, /Nʲ/, /L/, /Lʲ/, /R/, /Rʲ/ représentent des consonnes sonantes fortes dont la prononciation exacte est inconnue mais étaient probablement plus longues, plus tendues et articulées de façon généralement plus fortes que leurs équivalents faibles /n/, /nʲ/, /l/, /lʲ/, /r/, /rʲ/.
Labiale | Dentale | Alvéolaire | Vélaire | Glottale | ||
---|---|---|---|---|---|---|
Occlusive | Vélarisée ("large") | p b | t d | k g | ||
Palatalisée ("fine") | pʲ bʲ | tʲ dʲ | kʲ gʲ | |||
Nasale | Vélarisée ("large") | m | N n | ŋ | ||
Palatalisée ("fine") | mʲ | Nʲ nʲ | ŋʲ | |||
Fricative | Vélarisée ("large") | f v | θ ð | s | x ɣ | h |
Palatalisée ("fine") | fʲ vʲ | θʲ ðʲ | sʲ | xʲ ɣʲ | hʲ | |
Fricative nasalisée | Vélarisée ("large") | ṽ | ||||
Palatalisée ("fine") | ṽʲ | |||||
Spirante | Vélarisée ("large") | R r | ||||
Palatalisée ("fine") | Rʲ rʲ | |||||
Latérale | Vélarisée ("large") | L l | ||||
Palatalisée ("fine") | Lʲ lʲ |
Certains détails de la phonétique du vieil irlandais demeurent obscurs. /sʲ/ se prononçait [ɕ] ou [ʃ], comme en irlandais moderne. /hʲ/ pourrait avoir la même sonorité que /h/ et/ou que /xʲ/. /Nʲ/ et /Lʲ/ auraient pu être prononcés respectivement [ɲ] et [ʎ]. La différence entre /R(ʲ)/ et /r(ʲ)/ pourrait être que la première était roulée, alors que la deuxième était battue.
Voici une liste des monophtongues en vieil irlandais :
Courte | Longue | |||
---|---|---|---|---|
Haute | i | u | iː | uː |
Moyenne | e | o | eː | oː |
Basse | a | aː |
La distribution des voyelles courtes dans les syllabes accentuées est assez complexe. Toute voyelle courte doit logiquement se retrouver dans des syllabes finales non accentuées[2] après des consonnes larges ou fines. Au début d'une syllabe, /e/ et /i/ se prononcent généralement ae et ai après une consonne large, ce qui semble indiquer ici une prononciation rétractée, peut-être quelque chose comme [ɘ] et [ɨ]. Les dix variantes possibles sont exposées ci-dessous :
marba /ˈmarva/ 'tuer' (1re pers. sing. subjonctif) | léicea /ˈLʲeːgʲa/ 'quitter' (1re pers. singulier du subjonctif) |
marbae /ˈmarve/ 'tuer' (2e pers. singulier du subjonctif) | léice /ˈLʲeːgʲe/ 'quitter' (2e pers. singulier du subjonctif) |
marbai /ˈmarvi/ 'tuer' (2e pers. singulier de l'indicatif) | léici /ˈLʲeːgʲi/ 'quitter' (2e pers. singulier de l'indicatif) |
súlo /ˈsuːlo/ 'œil' (génitif) | doirseo /ˈdoRʲsʲo/ 'porte' (génitif) |
marbu /ˈmarvu/ 'tuer' (1re pers. singulier de l'indicatif) | léiciu /ˈLʲe:gʲu/ 'quitter' (1re pers. singulier de l'indicatif) |
Dans les syllabes fermées non accentuées (celles qui ont une syllabe coda), l'état de la voyelle courte dépend presque entièrement des consonnes environnantes :selon qu'elles sont larges ou fines. Entre deux consonnes larges, la voyelle se prononce /a/, comme dans dígal /ˈdʲiːɣal/ 'vengeance' (nom.). Entre une consonne large et une consonne fine, la voyelle devient /e/, comme dans dliged /ˈdʲlʲiɣʲeð/ 'loi' (nom./acc.). Avant une consonne fine, la voyelle est /i/, comme dans dígail /ˈdʲiːɣilʲ/ 'vengeance' (acc./dat.), et dligid /ˈdʲlʲiɣʲiðʲ/ 'loi' (gen.). La principale exception est que /u/ apparaît souvent lorsque la syllabe suivant contient un *ū en proto-celtique (par exemple, dligud /ˈdʲlʲiɣuð/ 'loi' (dat.) < PC *dligedū), et ce /o/ ou ce /u/ apparaissent fréquemment après une labiale large (par exemple, lebor /ˈLʲevor/ 'livre'; domun /ˈdoṽun/ 'monde').
La liste des diphtongues en vieil irlandais est exposée ci-dessous :
Longue (bimorique) | Courte (monomorique) | |||||
---|---|---|---|---|---|---|
ai | ia | ui | au | ĭu | ău | |
oi | ua | iu | eu | ou | ĕu |
Comme dans la plupart des langues médiévales, l'orthographe du vieil irlandais n'est pas fixée. Ainsi, les exemples présentés ci-dessous sont à considérer comme une généralité ; on peut trouver des formes toutes différentes dans des manuscrits individuels.
L'alphabet du vieil irlandais se compose des 18 lettres suivantes de l'alphabet latin :
De plus, on utilise comme signe diacritique sur certaines lettres des accents aigües ou des points suscrits :
On emploie aussi certains digrammes :
Au début d'un mot, s'il n'y a pas de mutation consonantique, les consonnes sont larges avant une voyelle postérieure (a, o, u) et fine avant une voyelle antérieure (e, i):
Après une voyelle, ou après l, n, ou r, les lettres c, p, t en position finale peuvent être altérées ou non. Elles peuvent être doublées, sans en modifier la prononciation :
Après une voyelle, les lettres b, d, g sont considérées comme des consonnes fricatives (/v, ð, ɣ/) ou des consonnes fines équivalentes :
Après m, b est palatalisé, mais après d, l et r, il est fricatif :
Après n et r, d est palatalisé :
Après n, l, et r, g est d'ordinaire palatalisé, mais il est fricatif dans quelques cas :
Après une voyelle, m est généralement fricatif, mais il est parfois nasalisé, auquel cas il peut être doublé :
Les digrammes ch, ph, th n'apparaissent pas en début de mot, sauf lorsqu'ils sont en position de lénition. Dans tous les cas, on les prononce /x/, /f/, /θ/.
Les lettres l, n, et r sont doublées lorsqu'elles indiquent une prononciation tendue, seules lorsque la prononciation est plus relâchée. (Mais en début de mot, les lettres dont la prononciation est tendue ne sont pas doublées.)
Le vieil irlandais suit la syntaxe (verbe-sujet-objet) partagée par la majorité des langues celtiques. Les verbes sont tous pleinement conjugués et présentent les formes habituelles des langues indo-européennes, comme les temps grammaticaux suivants : le présent, l'imparfait, le passé, le futur et le passé simple (aussi dénommé prétérit) et, comme modes grammaticaux l'indicatif, le subjonctif, le conditionnel et l'impératif et les diathèses actives et passives. La seule forme verbale absente en vieil irlandais est l'infinitif. Pour parer à ce manque, on utilise le nom verbal. Les pronoms personnels employés comme objets directs sont indexés au verbe auquel ils sont associés. En ce qui concerne les prépositions, elles se situent d'ordinaire au même endroit que dans la phrase anglaise, bien qu'un bon nombre d'entre elles soient indexées au verbe lui-même.
Le vieil irlandais compte trois genres grammaticaux : le masculin, le féminin et le neutre [réf. nécessaire] ; trois nombres grammaticaux : le singulier, le pluriel et le duel (aussi dénommé dual)[4]; et cinq cas : (le nominatif, le vocatif, l'accusatif, le génitif et le datif). Thurneysen avait identifié quatorze groupes de noms, définis par le genre du radical, sept radicaux vocaliques et sept radicaux consonantiques (dont un groupe de noms irréguliers et indéclinables).
Singulier | Pluriel | Duel | |
---|---|---|---|
Nominatif | túath | túatha | túaith |
Vocatif | túath | túatha | - |
Accusatif | túaith | túatha | túaith |
Génitif | túa(i)the | túath | |
Datif | túaith | túath(a)ib |
Les verbes se placent généralement en début de phrase (n'étant précédés que de particules et, très rarement, d'adverbes). La plupart des verbes possèdent, en plus des temps, des modes et des diathèses, comme évoqué plus haut, deux formes basiques : une forme conjuguée et une forme absolue.
Les plus anciens exemples d'écriture du vieil irlandais le sont dans l'alphabet oghamique (ogam en vieil irlandais, ogham en irlandais moderne), un alphabet qui serait créé vers le IIIe siècle sur la base de l'alphabet latin. Il consiste en vingt lettres, répartis en quatre familles. Il fut usité du IVe siècle au VIIe siècle environ.
On trouve un exemple de cet alphabet dans une inscription située au nord-ouest du mont Brandon, dans la péninsule de Dingle (comté de Chiarraí). En traduisant les lettres oghamiques en alphabet latin, on lit : "QRIMITIR RON.NN MAQ COMOGANN", ce qui devait se lire, en irlandais primitif : "*QREMITERI RONAGNI MAQI COMAGAGNI" et, en vieil irlandais : "*cruimthir Rónáin maicc Comgáin" (« du prêtre Rónán, le fils de Comgán »)[6].
L’écriture gaélique, Cló Gaelach, s'est développé au Moyen Âge sur la base de l'écriture onciale héritée de l'alphabet latin, mais ce n'est qu'avec l'invention de l'imprimerie, au XVe siècle), que l'écriture s'est standardisée. C'est un alphabet très proche de l'alphabet latin, qui en diffère seulement sur quelques lettres : le "g", le "r" et le "s" bas de casse qui s'écrivent différemment.
On pouvait ajouter à ces lettres des signes diacritiques tels qu'un accent (’) et un point (•). L'accent, disposé sur une voyelle, indique que celle-ci est longue. Elle n'est jamais l'indication d'un accent tonique. Le point est un signe de lénition. En irlandais moderne, la lénition est indiquée par la lettre "h" après la consonne autrefois surmontée du point.
Voici quelques exemples de comparaison entre le Cló Gaelach du vieil irlandais et l'alphabet latin moderne de l'irlandais moderne :
Forme ancienne | Forme conventionnelle | Signification |
---|---|---|
ind ġáeṫ | ind gháeth | vent |
sen-ġoídelc | sen-ghoídelc | vieil irlandais |
saṁ | samh | géant |
Les points diacritiques sont généralement retranscrits par la consonne suivie d'un h, c'est-à-dire : Ḃ pour Bh, ḃ pour bh, Ċ pour Ch, ċ pour ch, Ḋ pour Dh, ḋ pour dh, Ġ pour Gh, ġ pour gh, Ṁ pour Mh, ṁ pour mh, Ṗ pour Ph, ṗ pour ph, Ṡ pour Sh, ṡ pour sh, Ṫ pour Th et ṫ pour th. De nombreuses polices de caractères gaéliques incluent ces signes diacritiques.
Une réforme, menée en 1953, a contribué à l'unification des normes d'écriture de l'irlandais. Ce nouveau standard, nommé An Caighdeán Oifigiúil, a conduit à l'abolition du Cló Gaelach.